Faits marquants 2021

Faits marquants 2021

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Les jeunes bovins de boucherie sont très sensibles aux maladies respiratoires les premières semaines de leur engraissement, ce qui occasionne l’usage d’antibiotiques. Deux facteurs sont connus pour augmenter l’incidence de ces maladies : (1) la distance parcourue entre l’élevage naisseur et l’élevage engraisseur de l’animal, et (2) le mélange d’animaux de provenances différentes lors de leur passage en centres de tri, ceux-ci constituant pour les éleveurs engraisseurs des lots d’animaux homogènes sur des critères de poids et non de provenance ou de distance parcourue. Deux algorithmes ont été développés par des chercheurs des départements Santé Animale et MathNum d’INRAE pour optimiser ces deux facteurs. Ils ont ensuite été testés sur un jeu de données de la coopérative Ter’elevage, jouant le rôle d’intermédiaire entre naisseurs et engraisseurs. Les résultats ont montré qu’une optimisation du choix du centre de tri permettait de réduire substantiellement les distances de trajet, particulièrement les plus longs. De plus, il était possible de composer de lots d’animaux minimisant la diversité de leurs origines et ainsi de fortement réduire les risques de contaminations croisées entre jeunes bovins à l’engraissement. Ces outils, disponibles publiquement, pourraient contribuer à diminuer le recours aux antibiotiques chez les éleveurs engraisseurs.

Les systèmes d’élevage complexe (tels que la conduite en bandes en élevage porcin) reposent sur une forte structuration des populations dans l’espace et dans le temps. L’écriture de modèles épidémiologiques mécanistes pour comprendre, prédire et maîtriser la propagation d’agents pathogènes dans de tels systèmes peut s’avérer longue, difficile et peu réutilisable. Des méthodes à la confluence de l’intelligence artificielle et du génie logiciel ont été développées pour fournir des solutions génériques pour formaliser explicitement ce type de modèle sous une forme lisible par des scientifiques non modélisateurs. Les modélisateurs disposent ainsi d’un cadre flexible leur permettant d’exprimer de façon très fine l’organisation et les contraintes s’appliquant aux populations étudiées, ces spécifications étant ensuite traitées automatiquement par un moteur de simulation. Ces méthodes originales ont fait l’objet d’une publication à ICAART (conférence internationale en IA avec comité de lectures et actes) et vont être appliquées à la modélisation de l’impact de la conduite en bandes sur des maladies porcines (grippe et syndrome dysgénésique et respiratoire du porc), en collaboration avec l’Anses.

Les dernières décennies ont été marquées par l’émergence de plusieurs épizooties (e.g. fièvre aphteuse, encéphalopathie spongiforme bovine, grippes aviaires) qui ont mis en évidence la vulnérabilité des systèmes alimentaires et de la santé publique face à ces crises véhiculées par les animaux d’élevage. Prévenir ces risques est donc un enjeu sanitaire et économique majeur, qui repose en grande partie sur les mesures préventives adoptées par les éleveurs. Le cas de la tuberculose bovine est d’actualité en France, car malgré sa prévalence extrêmement faible (très en dessous de 0.1% des troupeaux), le nombre de cas recensés est en constante augmentation. Prévenir l’émergence de la maladie requiert alors l’identification de ses facteurs de risque, l’analyse des pratiques préventives des éleveurs et l’évaluation des politiques publiques incitatives de mise en œuvre de la biosécurité. Les enjeux cités soulèvent des questions empiriques, méthodologiques et théoriques auxquelles cette recherche répond. D’abord, une analyse statistique a montré l’importance de la prise en compte de la tuberculose bovine comme un fait rare, pour éviter des biais d’estimation et révéler avec justesse des facteurs de risque. L’analyse de la propension des éleveurs à mettre en place des mesures de biosécurité révèle que leurs choix sont interdépendants, à la fois à l’échelle de l’exploitation et localement. Une politique d’incitation à la biosécurité , étudiée par modélisation, sera d’autant plus efficace si les aides financières sont ajustées aux caractéristiques de chaque éleveur conditionnées à une adoption large des mesures.

Les recherches à l’interface entre santé animale et intelligence artificielle (IA) sont en plein essor. Elles permettent de s’engager sur de nouveaux fronts de science en santé animale, de lever des verrous méthodologiques, et d’identifier les défis de demain en agriculture. Ainsi, l'IA contribue au diagnostic et à la détection des maladies, à fiabiliser les prédictions et réduire les erreurs d’interprétation, à produire des représentations plus réalistes des systèmes biologiques, à accroître la lisibilité des codes informatiques pour leurs utilisateurs, à accélérer les décisions et améliorer la précision des analyses de risque, et enfin à mieux cibler les interventions et anticiper les possibles effets négatifs. Portés par le regain d’intérêt récent pour l’IA, de nouveaux outils d’aide à la détection en médecine animale et d’aide à la gestion sanitaire émergent, ouvrant des horizons nouveaux pour la sécurité sanitaire. En retour, les défis de santé animale peuvent stimuler la recherche en IA en raison de la spécificité des systèmes, des données, des contraintes et des objectifs visés.

La 2ème conférence internationale « Modélisation en santé animale » ModAH², organisée conjointement par les départements SA et MathNum, a eu lieu en ligne au cours de quatre demi-journées de webinaire, entre Avril et Octobre 2021. Les modalités exceptionnelles d’organisation de la conférence, dues à la pandémie de COVID19, ont bien sûr limité les interactions directes entre les participants mais, en retour, elles ont permis une large participation, avec une grande diversité d’origines (26 pays différents). Plus de 230 personnes ont suivi l’événement. La modélisation sous toutes ses formes était au cœur des présentations et des discussions, avec comme objectif partagé de mieux comprendre et prédire la propagation d’agents pathogènes en populations animales. La plupart des présentations ont été enregistrées et mises en ligne pour en permettre une diffusion large. Cette conférence donne lieu à une série d’articles dans le journal Veterinary Research, issus de travaux présentés, pour laquelle le comité scientifique international de la conférence fait office d’éditeurs invités.

Un Living Lab réunissant le Ministère de l’Agriculture (DGAl), les instances vétérinaires (ordre, syndicat, organisations techniques) et les interprofessions et instituts techniques des filières porcine et avicole françaises a été constitué dans le cadre du projet H2020 ROADMAP (Rethinking Of Antimicrobial Decision systems in the Management of Animal Production, https://www.roadmap-h2020.eu). La méthode ImpresS ex ante développée par le CIRAD facilite le processus participatif pour définir le champ d’action du collectif et aboutir à la construction des stratégies permettant de progresser vers un usage des antibiotiques vertueux (vers le « mieux » plutôt que seulement vers le « moins ») et garantissant la santé et le bien-être des animaux, la perennisation de ces filières et du maillage vétérinaire sur le territoire. Les stratégies sélectionnées seront validées en collaboration avec d’autres parties prenantes (distributeurs, consommateurs). Ces travaux s’inscrivent dans les dispositifs nationaux et européens encadrant l’usage des antibiotiques en médecine vétérinaire (plan Ecoantibio, feuille de route interministérielle Une Seule Santé, obligation règlementaire de remontée des données de vente et d’usage d’antibiotiques) et seront intégrés dans la construction du Plan EcoAntibio 3 du Ministère de l’Agricuture.

En élevage laitier, les veaux sont séparés de leur mère rapidement après leur naissance et n’ont plus de contact avec les vaches adultes avant leur premier vêlage. Une pratique alternative visant de meilleurs résultats de croissance et de santé des veaux s’est développée récemment en agriculture biologique et se traduit par un élevage de veaux laitiers par des vaches nourrices du troupeau conduisant à un sevrage plus tardif entre 4 et 10 mois. Trois phases distinctes peuvent être identifiées : une phase courte de quelques jours avec la mère puis une phase d’adoption par une nourrice vers l’âge de 8 j entre lesquelles s’intercale parfois une phase d’allaitement artificiel. Les conséquences de cette conduite innovante sur l’une des principales causes de diarrhée des veaux nouveau-nés, la cryptosporidiose, ont été étudiées dans vingt troupeaux de l’ouest de la France. Les veaux élevés dans ce nouveau système présentent un niveau d’infection par les cryptosporidies et une fréquence des diarrhées plus faibles qu’en système classique. Ce résultat s’explique par une moindre concentration de veaux dans les locaux d’élevage en lien avec une sortie plus précoce au pâturage dès que cela est possible. A l’inverse, la phase d’allaitement artificiel est apparue comme l’un des principaux facteurs de risque pour l’excrétion de cryptosporidies.

Les multiples micro-organismes, parasites ou virus, associés aux tiques représentent des "passagers influents" pouvant impacter les hôtes vertébrés sur lesquels les tiques effectuent leurs repas sanguins, mais également les tiques elles-mêmes. Nous nous sommes intéressés à un groupe de virus à ARN fréquemment associés aux arthropodes, et plus récemment découverts chez les tiques, les iflavirus. Grâce à un balayage des assemblages transcriptomiques de 27 espèces de tiques différentes, nous avons identifié neuf séquences génomiques complètes attribuées à la famille des iflavirus, chez Ixodes ricinus puis chez quatre autres espèces de tiques, le tout représentant cinq espèces virales nouvelles au total. Notre analyse phylogénétique démontre l'absence de coévolution stricte entre iflavirus et tiques, et implique plusieurs changements d'espèces de tiques hôtes au cours de l'évolution de ces virus. L'inconnue restant à lever est l'effet de ces virus sur le succès reproductif des tiques.

Les boiteries sont une des affections fréquentes et douloureuses chez les bovins. Leur détection est souvent tardive, ce qui compromet leurs chances de guérison. Les outils de monitoring sont déjà largement utilisés en élevage bovin laitier et pourraient aider les éleveurs à mieux détecter les boiteries, mais aucun n’est actuellement assez performant notamment lorsque les vaches sont au pâturage. La combinaison d’informations recueillies toutes les 10 secondes par un accéléromètre et un GPS embarqués sur un collier a permis d’identifier des comportements ou déplacements modifiés chez les vaches atteintes de boiterie. Parmi les 37 variables comportementales et de déplacement explorées, 7 se sont révélées fortement modifiées chez les vaches modérément à sévèrement boiteuses : le temps passé à ingérer de l’herbe, la durée des périodes d’ingestion d’herbe en pâture, la durée avant de se coucher en pâture, le temps passé à se reposer, le nombre de périodes de repos, la distance parcourue lors du pâturage et la dispersion sur la parcelle pâturée. Cette avancée ouvre des perspectives d’amélioration du bien-être des bovins.

La fièvre Q, causée par Coxiella burnetii, est une zoonose dont les principaux réservoirs sont les ruminants domestiques (bovins, ovins, caprins). La contribution des bovins au risque de transmission à l’homme reste incertaine car les précédentes études chez l'homme ont pour la plupart été réalisées dans des zones comprenant à la fois des bovins et des petits ruminants, ces derniers étant systématiquement impliqués dans les épidémies de fièvre Q. Dans deux départements de l’ouest de la France, caractérisés par une fréquence élevée d’infection chez les bovins et une très faible densité de petits ruminants, la prévalence de séropositivité mesurée chez l’homme montre la circulation de Coxiella y compris en l’absence de petits ruminants : 56% des éleveurs de bovins laitiers, 89% des vétérinaires, et 13% de la population générale adulte étaient porteurs d’anticorps. Ce risque était d’abord professionnel, lié à une activité au contact avec des bovins pour la population générale et à la détention d’un troupeau infecté pour les éleveurs, à l’exclusion de tout autre facteur. Il est donc nécessaire de sensibiliser les médecins aux symptômes de la fièvre Q et à l’importance des mesures générales de biosécurité pour maîtriser le risque d’infection humaine par les bovins, en particulier pour les personnes à risque du fait de leur exposition professionnelle.

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