6 - Hétérogénéité des individus (2/2)

La modélisation épidémiologique et son usage pour gérer la COVID-19

Éclairage sur les modèles mécanistes par l'équipe DYNAMO

Au cours des prochaines semaines, nous présenterons quelques éléments clés de la modélisation en épidémiologie au travers d'articles courts à vocation pédagogique. Ces articles vous aideront à mieux comprendre et décrypter les hypothèses sur lesquelles reposent les modèles épidémiologiques beaucoup utilisés en ce moment, et comment ces hypothèses peuvent impacter les prédictions de la propagation des pathogènes, notamment du SARS-CoV-2. L’objectif est de découvrir les avantages et les limites de la modélisation mécaniste, approche au centre des travaux de l’équipe DYNAMO. Les exemples de modèles seront inspirés des modèles utilisés en ces temps de crise, mais parfois simplifiés pour les rendre accessibles.

#6 – Pourquoi représenter l’hétérogénéité des individus infectés dans le modèle ? (2/2)

D’autres facteurs expliquent que les modèles sont parfois complexifiés, notamment au regard des individus infectés. Tout d’abord, les schémas de modèles épidémiologiques sont issus de discussions entre personnes de profils et de disciplines différents : épidémiologie, mathématiques, informatique, mais aussi virologie, médecine, gestion, etc. Ces schémas résultent donc d’un compromis entre parcimonie (donc le moins de paramètres possible) et réalisme (associé à une meilleure lisibilité du modèle par les non modélisateurs). Pour illustrer cela, nous avons décomposé les individus excréteurs selon le niveau d’excrétion (rose vs. rouge), et le niveau de gravité de la maladie (bleu clair ou foncé). Nous avons aussi considéré le niveau d’apparition des symptômes (cf figure ci-dessous). Par rapport au schéma de l’article #5, cela permet de mieux refléter ce que les experts du domaine connaissent de l’infection et de la maladie. Cela permet aussi d’ajuster les paramètres (contacts, niveaux d’excrétion ; cf tableau ci-dessous) et les transitions selon les états de santé. Ainsi, ce schéma considère que seuls les individus ayant des symptômes sévères (Iss) iront à l’hôpital (H), voire en unités de soins intensifs (ICU), et donc sont à risque de mourir de la COVID-19.

Schéma de modélisation avec différents états I ("infecté")

Modèle épidémiologique considérant comme états de santé : sensibles (S), infectés latents non excréteurs (E), infectés excréteurs en incubation (Ip), asymptomatiques (Ia), pauci-symptomatiques (Ips), modérément symptomatiques (Ims), aux symptômes sévères (Iss), à l’hôpital (H), en unité de soin intensif (ICU), guéris (R), et morts (M). La force d’infection (λ) tient compte de la différence de contribution des infectés excréteurs aux nouvelles infections (adapté de Di Domenico et al. report).

Tableau des paramètres du modèle (adapté de Di Domenico et al. report).

Paramètres

Définitions

Valeurs retenues

β

Taux de transmission basal (jour-1)

1.2

σ

Facteur multiplicateur pour réduire l’excrétion des Ip, Ia, Ips

0.42

v

Facteur multiplicateur pour réduire les contacts des Iss, H, ICU

0.25

1/ε

Durée moyenne de la latence (jour)

3.7

1/γp

Durée moyenne de l’état Ip (jour)

1.5

[pa, pps, pms, pss]

Probabilité d’être Ia, Ips, Ims ou Iss (somme = 1)

[0.3, 0.2, 0.3, 0.2]

1/γ

Durée moyenne des états Ia, Ips, Ims, Iss (jour)

2.3

pICU

Probabilité d’aller en unité de soin intensif suite à des symptômes sévères

0.25

1/γH

Durée moyenne du séjour à l’hôpital (jour)

15

(1-µH)

Proportion de H qui vont guérir

0.9

1/γICU

Durée moyenne du séjour en unité de soin intensif (jour)

20

(1-µICU)

Proportion de ICU qui vont guérir

0.7

Ces valeurs donnent un taux reproductif de base R  = 3.3 hors contrôle.

Ce type de modèle permet par exemple de comparer une situation sans aucune maîtrise avec une situation supposant une mise en confinement de la population générale du 16 mars au 11 mai, puis une distanciation sociale du 11 mai au 26 mai (date de fin des prédictions des figures ci-dessous). Il est possible de s’intéresser non seulement au nombre de morts cumulés (ces observations étant disponibles et permettant de calibrer le modèle), mais également au nombre de personnes en unités de soins intensifs. Ainsi, si le modèle est correctement défini et calibré, il est possible d’identifier quand intervenir pour éviter de dépasser les capacités d’accueil des hôpitaux. Nous détaillerons ces aspects dans un article ultérieur.

Nombre de décès cumulés par jour avec (en noir) et sans (en rouge) confinement
Nombre de personnes en soins intensifs par jour avec (en noir) et sans (en rouge) confinement

Prédiction du modèle en nombre cumulé de morts (1ère figure) et en nombre de personnes en soins intensifs (2ème figure), en supposant une introduction du virus le 7 janvier dans la population générale française, et en supposant que le confinement réduit de 90% les contacts, tandis que la distanciation sociale les réduit de 50%. Les données d’observations (croix) correspondent au 16 mars, 5 avril, 11 mai et 26 mai.

De tels modèles peuvent aussi contribuer à tester des interventions ciblées (ex : seuls les symptomatiques sont isolés, avec délai de détection plus long pour les pauci-symptomatiques), ou qui ne s’appliqueraient pas de la même manière à tous les groupes (ex : distanciation sociale demandée à tous, mais moins appliquée par les asymptomatiques). L’article #8 discutera de l’impact des données disponibles sur la qualité prédictive des modèles épidémiologiques