Faits marquants 2022

Faits marquants 2022

Dans ce dossier

L’année 2022 a été fructueuse pour les connexions internationales de l'équipe APPIFISH, UMR BIOEPAR. Tout a commencé par un projet d'exploration avec M. Urosevic et J. Grabic de l'Université de Novi Sad, en Serbie. Ce programme d'échange, financé par France Education International, nous a permis de nous réunir pour discuter des possibilités de recherche et de proposer des conférences à des étudiants internationaux. Les visites scientifiques à Novi Sad et à Nantes ont été très productives, et des résultats préliminaires sur la qualité de l’eau en élevage piscicole en Serbie ont été présentés par l'équipe lors de la conférence Aquaculture Europe 2022 à Rimini, en Italie. En outre, grâce à cette collaboration, BIOEPAR et l'Université de Novi Sad ont intégré l'action COST BETTER (Biosecurity Enhanced Through Training Evaluation and Raising Awareness), dirigée par l'Université Autonome de Barcelone. En particulier, un sous-groupe sur l'aquaculture a été créé et nous sommes heureux de travailler ensemble, avec de nombreux autres chercheurs européens, sous la coordination de Dusan Palic (Ludwig-Maximilians-Universität München). Ce projet passionnant garantira la poursuite de notre collaboration avec nos collègues de Serbie, mais aussi l'expansion de notre réseau, avec de nombreuses autres opportunités dans les années à venir pour comprendre comment la bioscurité en aquaculture peut servir pour éviter la dissemination de l’antibiorésistance.

Une nouvelle espèce bactérienne transmise par les tiques chez les petits ruminants en Corse

Plusieurs espèces de bactéries pathogènes du genre Anaplasma, transmises par les tiques, ont été découvertes depuis quelques décennies. Anaplasma capra, a été décrite en Asie initialement chez les caprins en 2012, puis chez l’homme en 2015, et s’avère très fréquente sur ce continent chez des hôtes vertébrés assez diversifiés. Nous l’avons mise en évidence pour la première fois en Europe, en France en 2019, chez deux espèces de Cervidés en captivité. Plus récemment, nous l’avons détectée avec des prévalences assez élevées chez des petits ruminants d’élevage en Corse. A. capra se divise en deux groupes phylogénétiques. En France et en Europe (Espagne et Turquie), les populations forment une lignée distincte suggérant une origine européenne récente et unique. Le groupe des souches européennes est différent de celui des souches chinoises caractérisées chez l’Homme. Il reste donc à déterminer si les souches européennes pourraient être infectieuses pour l’Homme. Étant donné la très large répartition géographique d’A. capra, il semble que cette espèce puisse être transmise par un grand nombre d’espèces différentes de tiques.

Le Goéland leucophée est utilisé comme espèce modèle pour analyser l’impact des stress environnementaux (pollution notamment) sur la dynamique des populations d’animaux sauvages, la circulation d’agents pathogènes et le risque d’exposition humaine. Dans cet objectif, en collaboration avec l’UMR MIVEGEC, nous avons caractérisé un piroplasme sanguin, Babesia sp. YLG, appartenant à un groupe de parasites aviaires encore méconnus, et les modalités de sa transmission. Nous avons ainsi pu observer qu’il est très fréquent chez les poussins et que sa transmission vectorielle est assurée par une tique nidicole molle, Ornithodoros maritimus. Ce parasite sanguin, Babesia sp. YLG, peut maintenant être intégré comme marqueur pour étudier la connectivité entre les colonies d’oiseaux et le rôle possible des facteurs environnementaux dans la circulation et l'établissement du parasite au sein des colonies.

Les tiques sont très étudiées en raison des risques en santé humaine ou animale qui leur sont associés, mais leur biologie neuronale est encore relativement mal connue. Afin d’améliorer cette connaissance générale, ainsi que dans une perspective appliquée visant à identifier des cibles potentielles pour de nouveaux acaricides plus spécifiques, nous avons séquencé à haut débit les gènes exprimés dans le système nerveux central des tiques : le synganglion. Nous avons séquencé de façon très complète de nombreux gènes dont l’expression est typiquement neuronale, pour différentes conditions (tiques à jeun ou en cours de repas sanguin). De façon intéressante, le synganglion apparaît comme plus « actif » dans les tiques à jeun que lors du repas sanguin. Une analyse phylogénétique nous a montré que certaines catégories de gènes de la famille des cys-LGIC sont dupliqués chez les tiques, avec parfois de nombreuses copies et pourraient y jouer des fonctions nouvelles et particulières à ces organismes, ou bien avoir un profil d’action très spécifique au cours de la vie de la tique. Notre travail va également permettre de tester l’efficacité de nouvelles molécules acaricides sur ces cibles maintenant caractérisées.

Les maladies respiratoires sont l'un des principaux troubles de santé des jeunes bovins de boucherie. Outre les atteintes au bien-être des animaux, ces maladies entraînent des retards de croissance voire la mort. Cela se traduit par des pertes économiques et un recours massif aux antibiotiques. La maîtrise de ces maladies est complexe car elles dépendent de nombreux facteurs. Elles peuvent être causées par des bactéries ou des virus, et se déclenchent chez l’animal infecté plus ou moins fortement selon son vécu (exposition passée, vaccination, etc.) et celui des autres animaux élevés avec lui. Cela rend ces maladies difficiles à gérer avant que la transmission ne soit déjà forte entre animaux. Pour mieux comprendre l'impact des pratiques d’élevage, diversifiées selon les pays, sur la propagation et le traitement de ces maladies, l’UMR BIOEPAR (Nantes) et le Beef Cattle Institute (Kansas State University, USA) ont collaboré pour explorer par modélisation la progression du processus infectieux, l'apparition et l'évolution des signes cliniques, leur détection et l'administration d'un traitement. Le modèle développé a été calibré pour tenir compte de tailles de lots contrastées, de différents niveaux de risque individuels, de l'administration éventuelle d'antibiotiques en amont de l’engraissement, et du choix de traiter seulement les animaux détectés ou tout le lot quand le nombre de cas devient fort. Les résultats soulignent l'intérêt d'une évaluation fine du niveau de risque et aident à identifier les situations qui favorisent la réduction de l'usage d'antibiotiques.

La fièvre de la Vallée du Rift (FVR) est une maladie virale zoonotique transmise par des moustiques, principalement au bétail, provoquant des vagues d’avortements et une mortalité élevée chez les jeunes animaux. Chez l’humain, la forme grave peut-être fatale. La FVR fait partie de la liste des maladies émergentes prioritaires de l’OMS. Cependant, le potentiel de transmission (que l’on pourrait simplifier par « contagiosité ») des différentes espèces d’hôtes au cours de leur infection par le virus de la FVR reste mal connu. Dans le cadre d’une collaboration entre l’UMR BIOEPAR (Nantes) et l’Université de Wageningen (Pays-Bas), nous avons développé et paramétré un modèle mathématique à l’échelle intra-hôte pour reproduire la dynamique virale totale et infectieuse observée chez trois espèces d’hôtes : les moutons, les chèvres et les bovins. Nous avons estimé la relation entre la charge virale de l’hôte et la probabilité d’infecter un moustique des genres Aedes et Culex, les principaux vecteurs de ce virus. Ceci a permis de quantifier l’infectiosité des hôtes vis-à-vis des moustiques, et de mettre en évidence une différence importante entre espèces [1]. Ainsi, les moutons sont 3 à 4 fois plus infectieux que les chèvres et les bovins. Parmi les moutons, ceux qui vont succomber à la maladie sont 2 fois plus infectieux que ceux qui y survivent. La question est maintenant de déterminer l’impact d’une telle hétérogénéité d’infectiosité individuelle sur la contribution relative des espèces d’hôtes à la propagation du virus de la FVR à l’échelle populationnelle.

Pour maîtriser la propagation d’une maladie infectieuse dans un large territoire d’élevage, l'allocation d'une ressource limitée est une question fondamentale mais difficile, surtout lorsque les contacts entre fermes forment un réseau de grande dimension. Deux unités INRAE des départements Santé Animale (BIOEPAR) & MathNum (MaIAGE) ont traité ce problème en créant un modèle générique pour une maladie du bétail théorique qui se propage dans un grand réseau de commerce d'animaux, où les dynamiques infectieuse et démographique intra-troupeau sont spécifiées, et prenant en compte les mouvements commerciaux des animaux. Pour l'allocation des ressources (un vaccin ou un traitement), un score a été attribué à chacun des troupeaux, ce qui a permis de les ordonner. La ressource est ensuite allouée à partir du sommet de ce classement jusqu'à ce qu’elle ne soit plus disponible. Dans les scénarios évalués, les simulations montrent en particulier que les fonctions proposées, s’appuyant sur les informations relatives à la santé des troupeaux, sont parmi celles qui contrôlent le mieux la propagation de la maladie. L'approche développée pourrait être adaptée à d'autres modèles épidémiologiques ou à d'autres mesures de contrôle dans le cadre de métapopulations.

ASF Challenge a été le premier défi de modélisation en santé animale, à l’instar de ce qui est organisé de manière récurrente en santé humaine (ex : grippe, Ebola, Chikungunya, Dengue, etc.). De tels défis sont nécessaires pour être collectivement mieux préparés à faire face aux menaces sanitaires émergentes, en améliorant notamment la capacité des modélisateurs à conseiller en temps utile les décideurs politiques. Les unités BIOEPAR et IHAP du département Santé Animale d’INRAE ont développé un modèle original de la propagation spatio-temporelle du virus de la peste porcine africaine (PPA). Cette épidémie virtuelle se propage à l'interface entre porcs et sangliers dans un contexte européen typique. Le nombre de cas détectés dans chacune des deux populations d’hôtes a été fourni à des équipes internationales pour qu’elles reproduisent l'épidémie, prévoient son expansion et hiérarchisent des mesures de maîtrise. Les meilleurs modèles des participants ne sont pas les mêmes selon que l’on cherche à prévoir la suite de l’épidémie ou à évaluer des stratégies. Des modèles d'ensemble ont ensuite été proposés pour tirer parti de toutes les prévisions fournies par les modèles individuels des équipes. Ils surpassent la plupart des modèles individuels, mettant en exergue la plus-value de la compétition internationale (diversité des approches proposées) puis de la collaboration (minimisation du risque d’erreur dans les conclusions). ASF Challenge a contribué à améliorer la préparation des équipes de modélisation pour faire face aux futures épidémies de PPA mais a démontré également que la prise en compte de l'interface animaux d’élevage / faune sauvage est essentielle pour accroître notre efficacité dans la maîtrise des maladies animales émergentes.